Regards croisés : voiture électrique, gare à la « solution miracle »

Solution incontournable, mais pas miracle, la voiture électrique engendre le débat… Si elle s’est largement invitée dans les discussions et sur nos routes pour décarboner notre mobilité, son impact environnemental et son accessibilité continuent de susciter des interrogations. Surtout, elle ne doit pas nous empêcher de repenser notre rapport à la mobilité et à la voiture, ainsi que l’expliquent nos deux experts, Marie Chéron, e-mobility manager pour l’ONG Transports et Environnement, et Bertrand-Olivier Ducreux, ingénieur au service transport et mobilité de l’ADEME.


Bertrand-Olivier Ducreux

Portrait de Bertand-Olivier DucreuxIngénieur au service transport et mobilité – ADEME

Précédemment motoriste dans l’industrie automobile, il accompagne aujourd’hui des projets liés aux technologies des véhicules (conduite automatisée, hydrogène et électrification).

Marie Chéron

Portrait de Bertand-Olivier Ducreux

Responsable Politiques Véhicules pour l’ONG Transports et Environnement France

Elle y apporte son expertise dans l’accélération de la décarbonation du secteur automobile et du fret routier. Précédemment, elle avait piloté une étude sur l’analyse du cycle de vie des véhicules électriques et participé aux débats sur la loi d’orientation des mobilités (LOM).

La voiture électrique est-elle la solution à privilégier pour « décarboner » nos déplacements ?
Bertrand-Olivier Ducreux

La voiture électrique est aujourd’hui la meilleure solution disponible pour décarboner rapidement le transport… automobile : soit le mode de transport aujourd’hui dominant. Son empreinte carbone est sensiblement inférieure à celle d’une voiture thermique. C’est la fabrication de la batterie qui est responsable de près de 50 % de cette empreinte carbone. Pour ne pas augmenter l’impact, il faut donc rester raisonnable sur leur taille et privilégier de petites voitures.

Marie Chéron

Attention, car l’expression « solution » peut être trompeuse. Cela pourrait donner le sentiment que l’on va résoudre la question des émissions de gaz à effet de serre par un simple changement de motorisation… Le problème est plus large, il va falloir modifier en profondeur notre rapport à la mobilité ! Certes, l’électrification va nous aider à faire une partie du chemin, mais ce ne sera pas suffisant : nous devons réduire le nombre de kilomètres parcourus et massifier le report modal.

D’un point de vue financier, rouler en voiture électrique est-il plus avantageux ?
B.-O. D.

La voiture électrique coûte plus cher à l’achat qu’un modèle thermique, mais ce surcoût initial est compensé par le coût d’utilisation qui est trois fois inférieur (pour 100 kilomètres parcourus, on dépense trois fois moins). Le véhicule électrique est ainsi tout à fait pertinent en zone rurale où la rentabilité sera d’autant plus importante que l’usage en sera plus intense.

M. C.

Je confirme : plus on roule en électrique, plus c’est avantageux. Même s’il est vrai qu’il existe des différences de consommation selon les véhicules ! Mieux vaut donc privilégier des modèles plus légers et moins consommateurs.

« Modifier notre rapport à la mobilité », qu’est-ce que ça signifie concrètement ?
B.-O. D.

Il faut s’interroger sur le recours « abusif » que nous avons à la voiture. Aujourd’hui, on fait le choix de sa voiture par rapport à l’usage le plus contraignant et le moins fréquent : traverser la France une fois par an pour les vacances. Il faut repenser notre rapport à la voiture via l’usage le plus fréquent : les trajets domicile-travail ; le plus souvent, il s’agit de trajets courts et pour lesquels des alternatives existent !

M. C.

Interroger notre rapport à la voiture est une chance, car elle représente un vrai poids dans le budget des ménages et une source de désagrément : pollution, bruit, etc. Mais pour changer, il faut repenser les aménagements, questionner notre rapport au temps, remettre en question l’imaginaire véhiculé par la voiture… et surtout amener l’industrie automobile à repenser son modèle basé sur une croissance continue du marché.

B.-O. D.

En effet, nous ne devons pas laisser le sujet de la mobilité uniquement entre les mains des constructeurs ! Les déplacements peuvent être satisfaits avec moins de voitures et d’autres modes de déplacement plus collectifs, et plus actifs.

Pour encourager la transition vers le tout-électrique, les véhicules hybrides rechargeables sont-ils une solution ?
B.-O. D.

L’idée est belle sur le papier, mais ce qu’on constate, c’est que les usagers utilisent prioritairement le moteur thermique, et très peu le moteur électrique. En fait, 3/4 de ces véhicules hybrides rechargeables sont achetés par des entreprises : cette solution est plus intéressante fiscalement pour elles malgré un prix moyen supérieur.

M. C.

Les entreprises n’assument pas les incertitudes sur le prix de revente de l’électrique et investissent donc peu dans cette énergie malgré la loi d’orientation des mobilités (LOM). Aussi, n’achetant que 11 % de leurs véhicules en électrique (soit deux fois moins que les particuliers), les entreprises n’alimentent pas rapidement le marché de l’occasion et ralentissent la décarbonation du parc roulant. En conclusion, je dirais que le choix de l’électrique ne doit plus faire l’objet d’un débat. Il faut rationaliser le discours.

B.-O. D.

Tout à fait d’accord ! Il faut faire de la pédagogie pour séparer les enjeux politiques des enjeux factuels, techniques et avérés. C’est notre mission à l’ADEME !